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« Au bord de la guerre. Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil à Kyiv », sur France 5 : la Cartoucherie de Vincennes livre ses « munitions culturelles »

FRANCE 5 – VENDREDI 16 FÉVRIER À 22 H 50 – DOCUMENTAIRE
C’est un documentaire tourné dans la neige et le froid, avec, pour décor, une ville assiégée, pour horizon, un ciel strié de drones russes, pour bande-son, le rugissement des alarmes. Au bord de la guerre se déroule à Kyiv (Kiev), en Ukraine. Là où Ariane Mnouchkine a décidé de se rendre, dès mars 2023, pour y mener une école nomade avec des membres volontaires de sa troupe.
Douze jours de stage intensif regroupant une centaine de comédiens ukrainiens (amateurs, élèves, professionnels) venus de tout le pays pour se frotter à ce qui constitue l’ADN du Théâtre du Soleil : l’improvisation. Sur place, ils ont trouvé une salle de répétition et son rideau jaune en fond de scène, quelques costumes et des accessoires. Il n’en fallait pas plus à la metteuse en scène pour faire naître une « île » (le mot est d’elle) de paix et d’espoir au cœur du marasme.
Suivie par la caméra de Duccio Bellugi-Vannuccini et Thomas Briat, cette aventure relève de l’urgence et de la nécessité. « Nous ne partons pas en colonie de vacances », rappelle Ariane Mnouchkine avant de quitter la Cartoucherie de Vincennes. Elle n’a pas l’ombre d’un doute : si les Ukrainiens perdent, répète-t-elle, « nous perdons ». Son périple artistique est un soutien politique.
Mais à quoi sert l’art en temps de guerre ? Cette question hante un documentaire qui tricote ses fils maille à maille entre séances de répétition et apartés des réalisateurs avec des Ukrainiens dont les propos convoquent le réel sous l’objectif de la caméra : le mari d’une actrice combat sur le front. Un acteur, pasteur protestant, a obtenu une permission pour suivre l’école nomade. Une jeune fille confie : « C’est la première fois qu’on nous parle d’amour depuis l’invasion totale du pays. » Ce film, d’une grande tendresse, est un concentré de paradoxes qui cohabitent dans la joie. D’un côté, la dévastation du pays, de l’autre, les exigences du théâtre.
Assise dans les gradins, micro en main, Ariane Mnouchkine sculpte les scènes qui naissent devant le rideau jaune. Le spectacle est sur le plateau. Il est aussi dans les rangs du public. Sur le visage de la metteuse en scène défile une infinité d’émotions. Orageuse, enthousiaste, hilare, concentrée, elle lance les musiques et donne le top départ à de fulgurantes improvisations. Elle observe tout le monde, ne passe rien à personne, elle s’impatiente et s’enthousiasme. Son dynamisme est contagieux, son énergie inouïe.
« Est-ce qu’on a vraiment besoin de théâtre ? », s’interroge, douze jours plus tard, au moment des adieux, un participant à l’école nomade. Il laisse passer quelques minutes. Puis ajoute : « Nos soldats défendent l’Ukraine les armes à la main. Nous, on bâtit la nouvelle Ukraine. Et pour cela, nous avons besoin des munitions culturelles que vous nous apportez. »
Lorsque la troupe du Soleil repart pour la France, elle laisse derrière elle une arme de théâtre qui est tout aussi utile à la vie : apprendre à redresser la tête pour incarner un personnage, c’est apprendre à ne plus la courber devant l’ennemi. Message reçu cinq sur cinq par des élèves conquis qu’Ariane Mnouchkine quitte sur une dernière et belle injonction : « Vous devez être convaincus que vous avez choisi un art, le théâtre, qui est indestructible. »
Au bord de la guerre. Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil à Kyiv, documentaire de Duccio Bellugi-Vannuccini et Thomas Briat (Fr., 2023, 59 min). Diffusé sur France 5 dans le cadre de la collection « Aux arts et cætera ».
Joëlle Gayot
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